Ceci est un écrit de Mamadou Diallo, Ingénieur du Génie Rural, sur la crise sécuritaire au Burkina Faso.
Dans l’entendement courant de la langue française, le dialogue est une «Discussion entre personnes, entre partenaires ou adversaires politiques, idéologiques, sociaux, économiques, en vue d’aboutir à un accord».
Assurément, notre pays fait face à ce type d’adversité avec le djihadisme. Se voiler la face sur les termes de cette adversité, nous éloigne de la définition et mise en œuvre d’une stratégie militaire efficace et bien plus encore de la refondation de l’Etat qui est aujourd’hui, plus que jamais, à l’ordre du jour.
Dans nombre de zones sous leur contrôle, les groupes djihadistes après avoir œuvré au départ des services de l’Etat, ont engagé des modalités de gouvernement indirect des populations sur des thématiques diverses: gestion du foncier rural, agriculture, élevage, pêche, chasse, exploitation minière, commerce, justice, impôts (Zakat), pratiques religieuses, levée de troupes, police etc.
Sur l’ensemble de ces thématiques, l’Etat-nation a failli et les déclarations incantatoires sur « le State building » (capacité à assumer les missions régaliennes) et « Nation building » (cohésion et réconciliation nationales notamment) n’y pourront rien ! Chacun aujourd’hui peut honnêtement en convenir.
Alors, la sortie de la crise sécuritaire ne peut faire l’économie de donner des réponses viables à ces thématiques; elles devront être autres que celles de l’Etat-nation post-colonial et être capables d’engager une décrue significative des insurrections villageoises dont la trame de fond est un monde rural en ébullition sur fond de tensions sur la gestion du foncier rural comme le souligne l’International Crisis Group (ICG).
Nous avons longtemps fermé les yeux sur cette réalité qui est alimentée par une décapitalisation (paupérisation) généralisée en milieu rural; ces tensions résultent des contraintes diverses de l’économie politique villageoise: dynamique démographique, sécheresses récurrentes, compétition exacerbée autour de l’occupation et de la gestion des espaces ruraux, augmentation significative du taux d’occupation des terres arables, réduction de la fertilité des sols, politiques publiques défavorables aux exploitations familiales dans leur diversité sectorielle et économique.
Pour avoir la mesure de la crise foncière, il suffit de rappeler que l’unanimité est désormais faite quant à la bombe qu’elle représente à terme en milieu urbain; on pourrait ajouter que les sanctuaires djihadistes articulent chacun, une forme spécifique de la crise foncière en milieu rural que les katiba instrumentalisent et tout particulièrement en relation avec la crise du pastoralisme qui en résulte.
Si l’on considère la dynamique migratoire interne dans notre pays, la crise du foncier rural pourrait alimenter une bombe bien plus destructrice encore si l’on considère tout particulièrement la loi 034-2009 relative au foncier rural, la loi 034-2012 relative à la réorganisation agraire et foncière, celles relatives aux codes forestier et minier. En effet ces lois ont engagé une libéralisation et une marchandisation des ressources naturelles afin de tourner la page à l’étatisation de la terre qui avait été actée sous le CNR.
Tous ces mouvements ont attaqué dans ses fondements le droit foncier coutumier dans toute la diversité de ses expressions sans pouvoir représenter une alternative viable à celui-ci qui, quant à lui, n’a pu engager les mutations indispensables au regard de la nouvelle donne contemporaine.
Alors que faire ?
Je postule qu’il est possible, sous le leadership des différentes autorités coutumières et traditionnelles villageoises, de rénover le droit foncier coutumier sous la modalité de la GESTION EN BIEN COMMUN DES RESSOURCES NATURELLES. Car dans son but et ses fondements, le droit foncier coutumier considère que la terre n’appartient pas à l’homme, mais que c’est l’homme qui appartient à la terre qui pourvoie à ses besoins; d’où les rituels spécifiques et la puissance de leur symbolique; d’où enfin le fait que dans toutes nos communautés villageoises chacun a droit à une portion de la terre commune afin d’assurer sa subsistance dans sa quête de Vie Bonne.
C’est sous cette philosophie que le flot migratoire des populations du plateau central résultant de la grande sécheresse des années 70-80 a pu être absorbé par les sociétés villageoises habitant l’Ouest, le Sud-ouest, l’Est, le sud du Sahel bordant le plateau central.
C’est aussi avec une telle vision du monde que, plus récemment, les rapatriés de la Côte d’Ivoire ont pu être accueillis et installés pour l’essentiel dans le Sud-Ouest et l’Ouest du pays.
C’est toute cette dynamique socio-anthropologique qui a contribué puissamment à une certaine réorganisation du peuplement dans notre pays et qui a permis jusque-là de mitiger la contrainte démographique, la baisse drastique de la fertilité des sols sur le « plateau mossi » et les politiques rurales et agricoles néolibérales.
C’est à nouveau cette philosophie qu’il faut convoquer et lui donner plénitude dans la situation actuelle de la crise foncière en milieu rural comme alternative aux insurrections villageoises et aux situations pré-insurrectionnelles dans les autres parties du pays calmes d’apparence car, là-bas aussi, l’ébullition monte de manière souterraine.
Quelle stratégie opérationnelle dans la situation actuelle ?
Il est maintenant acquis qu’il sera difficile de sortir de la crise sécuritaire par la seule action militaire portée par les FDS et que le retour au village des PDI n’est pas à portée de main dans ces conditions.
Comme admis aussi maintenant, il faut prendre langue avec les groupes djihadistes, non pas comme une ruse de guerre ou comme une simple déclaration d’impuissance avec son corollaire d’appels sans lendemain aux « frères égarés » à déposer les armes.
Il faut imposer le dialogue aux groupes djihadistes en rendant l’initiative de dialogue aux villages avec comme axe principal, la gestion de la crise foncière en milieu rural et avec comme but assigné: La sécurité physique, culturelle et sociale partagée des communautés dans chaque village (leur quête spécifique de Vie Bonne) au travers des composantes d’innovation et de changement ci-après:
- Le renforcement de la complémentarité, de la solidarité et de l’unité d’action stratégique socio-professionnelles: agriculture, élevage, pêche, chasse, sylviculture, exploitation minière, artisanat et commerce
- La reconquête et/ou le renforcement du respect mutuel entre communautés sur la base de la mémoire collective de chaque village (création, conflits passés et actuels et leur gestion, l’accueil et l’intégration de nouveaux arrivants « allochtones » etc.)
- L’identification et de la gestion des besoins de mutation: économies familiales, jeunesse (éducation et instruction), statuts sociaux, Services sociaux de base et énergie, relations inter villageoises.
Malgré les coups de butoir puissants de la civilisation occidentale et une certaine déstabilisation, nos sociétés villageoises contemporaines disposent encore suffisamment de ressorts civilisationnels forgés par le génie ancestral pour engager une telle rénovation dont les modalités peuvent être ainsi esquissées.
Dans chaque village, les corps instituant que sont le chef de terre, le chef de village, le chef coutumier, le CVD (Conseil villageois de développement), élargis aux autorités religieuses, aux leaders d’opinion des communautés allochtones et des cadets sociaux, doivent délibérer et prendre des décisions sur ces trois composantes ainsi que sur les modalités de leur mise en œuvre efficace y compris les mécanismes de surveillance et de sanction.
Et sur cette base, chaque village ou groupe d’affinité de villages, prendra langue avec les groupes djihadistes actifs sur le terroir afin d’engager le dialogue et la recherche d’accords qui s’imposeront à chacun y compris les mécanismes de suivi et de sanction.
Dans cette optique, les forces vives de la nation devront donner crédit à l’Etat burkinabè au travers du Président de la Transition, pour déclarer de manière solennel un cessez-le-feu d’une durée de 6 mois renouvelable.
Sur cette base, les structures de coordination des autorités traditionnelles et religieuses lanceront un appel solennel aux groupes djihadistes à donner leur accord au cessez-le-feu décidé par l’Etat burkinabè au travers de leurs propres canaux de communication.
L’accord des groupes djihadistes, authentifié par les canaux internationaux spécialisés donnera ainsi le top départ du dialogue et du retour des PDI dans leurs villages respectifs afin d’y engager elles aussi le dialogue.
Le retour des PDI dans leurs villages, sera accompagné par une campagne de solidarité nationale afin d’assurer pendant 6 mois deux repas quotidiens à chaque ménage.
Alors ainsi s’esquissera, le premier pilier essentiel de la Refondation de l’Etat: le village comme échelon de base d’une approche délibérative et participative de l’action publique.
Et la suite ?
Nous aurons alors, dans l’intermède étroit et fragile ainsi ouvert, la chance malgré tout, de prendre notre destin collectif en main afin de cheminer-en dépit des menaces, doutes et obstacles divers qui ne manqueront pas-vers les autres étapes de la Refondation grâce à la confiance retrouvée dans le génie ancestral nègre.
DIALLO Mamadou