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Soudan : aux sources de l’imbroglio

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(Ph. AFP)

Près de deux mois après la démission, sous pression, de l’ancien dirigeant soudanais, Omar Al-Bashir, les efforts politiques déployés pour faire avancer le pays se trouvent toujours dans une impasse meurtrière. L’horrible attaque de l’armée soudanaise contre des manifestants, le 3 juin dernier, n’est que l’une des nombreuses manœuvres répressives de l’armée visant à intimider les manifestants, en particulier dans les villes clés d’Omdurman et de Khartoum. Comment expliquer cette situation ?

Outre le différend sur la prochaine date des élections – que l’armée veut tenir dans les neuf mois à venir alors que les manifestants proposent un délai plus long – les deux parties ne peuvent s’accorder sur la composition du Conseil souverain, l’organe qui supervisera les élections et la transition vers un pays gouverné par un gouvernement civil élu démocratiquement. Mais ces luttes pour l’élection et la composition du Conseil ne sont que deux des trois facteurs susceptibles de bloquer le processus politique au Soudan. L’autre facteur concerne l’ingérence de l’Arabie saoudite, des Émirats arabes unis et de l’Iran. Ces pays sont impliqués dans l’une des plus terribles guerres froides que le monde arabe ait connu dans l’histoire récente. Ils sont devenus parties prenantes de la crise actuelle au Soudan. Cependant, si la prudence n’est pas de mise, la recherche d’une solution politique à l’impasse au Soudan pourrait engendrer des problèmes plus graves.

Le refus des manifestants est justifié

Les Soudanais sont sceptiques et hésitent à quitter les rues et à faire confiance en l’armée pour des raisons légitimes. Si l’armée est autorisée à contrôler le Conseil souverain, cette autorisation donnera aux chefs militaires, impliqués auparavant dans le régime d’Al-Bashir, la possibilité de s’emparer des postes et des fonctions en les taillant à leurs mesures, plutôt que de permettre aux partis politiques de se présenter à des élections libres et crédibles.

Le Conseil militaire de la transition (CMT) n’a pas également agi de manière à convaincre le public que l’on peut faire confiance à ses membres pour sortir le pays de cette crise. Les manifestants voient des événements comme l’attaque insensée contre le sit-in par les forces de soutien rapide (RSF) au début de mai, qui a entraîné la mort de cinq manifestants et une autre femme enceinte peu après, comme des signes alarmants. Puis, l’attaque du lundi s’est produite. Même si les manifestants décident de réviser leur position et de quitter les rues, la direction du CMT n’est pas assez sage ni politiquement, ni diplomatiquement pour répondre seule à ses attentes. Par exemple, le chef adjoint du CMT, Mohamed Hamdan Dagalo, qui figure sur la liste des personnes touchées par les sanctions imposées par les États-Unis pour son rôle dans le génocide du Darfour, est également à la tête du fameux RSF qui a tué des manifestants. Alors que Dagalo a pu voir ses hommes tirer sur des civils pacifiques et les tuer, il n’est pas difficile de croire qu’il ferait pire s’il avait plus de pouvoir. En outre, de nombreux membres du CMT faisaient partie du cabinet Al-Bashir et certains d’entre eux ont été inculpés pour les atrocités commises par le régime. Il est simplement ironique de voir de tels individus, souillés dans une dictature, diriger une transition vers la démocratie. Plus encore, ils entraînent imprudemment ce pays fragile dans la politique malsaine du monde arabe, qui permet à des peuples comme l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis de défendre leurs intérêts au Soudan.

Un nouveau terrain pour la guerre froide arabe?

Pour l’Arabie saoudite, les Émirats Arabes Unis et l’Iran, les enjeux sont importants. Quiconque est capable de contrôler la politique du Soudan, en particulier l’Iran et l’Arabie saoudite, augmentera non seulement son avantage numérique dans le jeu d’alliances dans la Ligue arabe, mais gagnera également le soutien d’une importante économie africaine.

Le CMT ne traite aucune des deux factions avec sagesse. D’une part, l’Iran est un allié de longue date du Soudan. Leur relation moderne remonte aux années 1990, lorsque de grandes aides militaires et financières de Téhéran ont été acheminées vers Khartoum. Bien que ces dernières années, le Soudan ait créé des liens avec le rival iranien, l’Arabie saoudite a annoncé que Khartoum se joindrait à la coalition saoudienne au Yémen contre les rebelles chiites houthis, principal groupe armé soutenu par l’Iran en échange de une aide financière de 1 milliard de dollars de Riyad. Pour le Soudan d’Al-Bashir, c’était une question de loyauté envers le plus offrant. La direction du CMT répète cette même erreur en prenant clairement parti pour les Saoudiens et les manifestants se sont prononcés contre une telle politique. D’autre part, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis ont promis d’aider le Soudan avec 3 milliards de dollars, ce qui constituerait une tentative d’élimination de tout vestige de l’influence iranienne au Soudan. En représailles contre l’intérêt saoudien, l’Iran peut soutenir la résistance armée contre le CMT, comme nous l’avons vu en Syrie et au Yémen. Toutefois, les résultats sont déjà positifs pour les Saoudiens. Lors d’une récente réunion entre Mohammed Hamdan Dagalo, du CMT, et le prince héritier saoudien Mohammed bin Salman à Djeddah, Dagalo a promis son allégeance sans faille et celle du CMT à la faction saoudienne. Il a promis que le Soudan se porterait aux côtés du royaume contre toutes les menaces et attaques de l’Iran et contre les milices houthistes au Yémen. Abdul Fattah Burhan, chef du CMT, a fait des déclarations sentimentales analogues lors de ses récentes visites aux Émirats arabes unis.

Ce sont des politiques inconsidérées qui ont convaincu les Soudanais que le CMT n’est intéressé que par la promotion et la continuation des politiques d’Al-Bashir. La seule façon dont les choses fonctionneront pour le Soudan est que le CMT permette à un Conseil souverain dirigé par des civils de donner la priorité à la tenue d’élections libres et équitables. Malheureusement, pour que cela se produise, les Soudanais devront peut-être poursuivre la grève à l’échelle nationale et continuer à occuper la rue.

Ibrahim Anoba, Editeur de AfricanLiberty.org

Article publié en collaboration avec Libre Afrique.