Et maintenant? C’est la question qui est sur toutes les lèvres au Soudan, après la chute historique de Omar el-Béchir qui a tenu, pendant plus de trente ans, le pays d’une main de fer. Si le général à la célèbre canne a été mis hors-jeu par ses propres frères d’arme, sous la forte pression de la rue, il n’en demeure pas moins que le peuple et l’opposition soudanais n’entendent pas se contenter de cette victoire d’étape. Persuadés que l’armée, après cette destitution qui ressemble un peu à une révolution de palais, pourrait bien rétablir sa suprématie sur la vie socio-politique dès qu’elle en aura l’opportunité, les Soudanais entendent veiller au grain. Ils ont prouvé leur détermination à passer à la vitesse supérieure, obtenant ainsi les têtes de deux poids lourds du système Béchir, le général Ahmed Ibn Auf et surtout le patron du désormais ex puissant service de renseignement soudanais, Salah Gosh. Même les annonces du nouvel homme fort de Khartoum, le général Abdel Fattah Abdelrahman Burhan qui a pris les commandements du Conseil militaire, à la suite du très contesté Ahmed Ibn Auf, n’a pas réussi à convaincre l’opposition et l’Association des professionnels soudanais, fer de lance de la contestation qui a contraint l’armée à aller au coup d’Etat.
Le déficit de confiance entre elle et le peuple devient si abyssal que les décisions de la junte militaire au pouvoir pourraient bien rencontrer un mur de protestation infranchissable, tant que l’armée voudrait rester au pouvoir. Quelle sera la couleur du nouveau gouvernail du Soudan que les contestataires voudraient aux mains des civils? Certes, les nouveaux hommes forts du pays, auteurs du coup d’Etat bien embarrassant pour l’ONU et les puissances étrangères comme les Etats-Unis et autres parangons de l’alternance démocratique, comptent céder le poste de premier ministre aux civils mais quitteront-ils pour autant les affaires alors qu’ils ont encore des intérêts et leur survie à défendre? Rien n’est moins sûr et c’est le reste du processus de changement enclenché au Soudan qui peut être remis en cause. Les risques deviennent de plus en plus grands que le soulèvement populaire soit volé par les militaires qui présentent peu de signes, malgré les signaux qu’ils lancent, de lâcher prise. Il est donc fort à craindre un raidissement des positions des protagonistes de cette crise qui est loin d’avoir livré tous ses rebondissements. Comme en Algérie où souffle le nouveau printemps arabe, la situation, si elle n’est pas totalement volatile, n’en n’est pas moins évolutive. Et rares sont les analystes politiques qui sont en mesure de présenter, avec certitude, l’issue de cette mini-révolution qui change, à coup sûr, le cours de l’histoire politique au Soudan. Du reste, trente années de règne sans partage ne peuvent s’effacer d’un revers de la main ou au détour d’un coup d’Etat auquel les manifestants ont contraint l’armée.
C’est certain, le Soudan n’est pas au bout de ses peines et l’heure est loin d’être à la satisfaction totale au sein du peuple. Car, entre joie et espoirs, le doute et surtout la peur de se voir voler leur victoire sur l’inamovible Béchir, sont les choses les mieux partagées à Khartoum. Et ce sera le retour à la case départ et un nouveau bail qui sera offert à l’armée.
Par Wakat Séra