Et ce qui devait arriver arriva. La contestation coupe le pont avec les militaires. Les hommes en kaki quant à eux tirent dans le tas et entendent démanteler définitivement toutes les positions de manifestants. Résultat des courses, le sit-in des insurgés, vieux de deux mois déjà, a été dispersé sans ménagement avec, au bout du rouleau, plus de 30 morts et la radicalisation des positions. Comme il fallait s’y attendre depuis quelques temps, la lune de miel entre contestation et armée a viré au cauchemar. Visiblement, les ententes annoncées sur la composition du conseil souverain qui devait diriger la transition politique, avant les élections prévues au bout de trois ans n’étaient que leurre. Les signaux étaient plutôt au rouge il y a bien longtemps. Les deux camps se sont presque toujours regardés en chiens de faïence, les militaires voyant mal le pouvoir leur échapper et les civils jaloux de leur «révolution» qu’ils ne voulaient pas se faire «voler». Et la sale besogne de mater les manifestants était planifiée depuis lors, l’exaspération de l’armée s’exacerbant avec l’entêtement de la contestation à ne pas lâcher prise. Le passage à l’acte de disperser violemment les manifestants, est donc loin d’être spontané et si la milice paramilitaire de la Regional Protection Force (RPF) est pointée du doigt, l’armée et son Conseil militaire qui dirige le Soudan, portent l’entière responsabilité de ces violences meurtrières qui ne font que jeter de l’huile sur le feu de la manifestation.
Désormais, l’Association des professionnels soudanais, fer de lance de la «révolution», est résolument déterminée à paralyser le pays par des manifestations tous azimuts et la désobéissance civile. Comme à l’accoutumée, le mot d’ordre de cette structure qui répond ainsi au coup de sang des militaires a tout de suite produit ses effets. Est-ce le retour de la répression au Soudan? Même si c’est trop tôt pour répondre par l’affirmative, il faut reconnaître que les militaires soudanais gardent le doigt sur la gâchette et que les fils du dialogue seront bien difficiles à renouer. L’Egypte et l’Arabie saoudite qui voient d’un très mauvais œil la démocratie s’installer au Soudan. Ce qui explique ce tour de vis des militaires qui coïncide avec des séjours de membres influents de la junte militaire dans ces deux pays. Quelle sera maintenant la réaction de l’Union africaine qui s’était penché sur le dossier et a lancé plusieurs ultimatums aux militaires soudanais pour rendre le pouvoir aux civils après la chute de Omar el-Béchir, destitué par l’armée le 11 avril 2019? Le syndicat des chefs d’Etat qui avait initié une fatwa contre les coups d’Etat, pour éviter toute surprise désagréable à ses membres abonnés à la mauvaise gouvernance et frileux à l’alternance démocratique, jouait-il donc double jeu sur le dossier soudanais? En rappel, l’Egyptien Al Sissi est un bon militaire reconnu pour sa fermeté contre les civils empêcheurs de gouverner en rond, et ceci pourrait bien expliquer cela. Une démocratie conquise par le peuple aux portes de l’Egypte ne peut jamais être du goût du maréchal président de son pays et président en exercice de l’Union africaine.
En tout cas, le ciel soudanais se couvre et bien malin qui pourra déterminer avec précision, la puissance dévastatrice de l’orage qui pourrait s’abattre sur un pays engagé dans un cycle de violences dont les populations qui subissent déjà les rigueurs du quotidien, voudraient bien se passer.
Par Wakat Séra