Ceci est une réflexion de l’ingénieur du Génie rural, Mamadou Diallo qui évoque le syndrome de la post-vérité qui, selon lui, constitue le «psychodrame de l’élite dominante sahélienne confrontée au djihadisme».
«Cette tribune m’a été inspirée par l’interpellation d’un jeune, membre du Groupe d’initiative pour le Dialogue (GID) au regard des résultats au 30 novembre 2023 du sondage sur les perspectives et modalités de sortie de la crise sécuritaire au Burkina Faso (https://lefaso.net/spip.php?article124910). Ceux-ci indiquent en effet que près de 72% des répondants étaient confiants dans l’option du Tout Militaire. C’est-à-dire en hausse de 3% par rapport à celui de fin octobre. On ne peut pas dire que cette tendance soit cohérente avec les résultats sur le front de la sortie de la crise sécuritaire.
Le Chef de l’Etat suite à l’attaque de Djibo du 26 novembre 2023, a indiqué à l’occasion de son récent séjour à Gaoua, qu’il s’agissait d’une attaque d’envergure sans précédent dans notre pays d’une part, et que d’autre part, la guerre battait son plein et qu’il fallait se préparer, à toutes les éventualités.
Ainsi, si tient compte de l’imbroglio malien devant lequel le monde entier retient son souffle ajouté à la dégradation accélérée de la situation sécuritaire au Niger, tout cela, nous indique plutôt des lendemains terribles pour le Sahel central. Alors, le jeune frère me demande mon analyse sur les mécanismes qui peuvent conduire à une telle disposition d’esprit massive pour le Tout militaire, plus que paradoxale; et on pourrait même ajouter le manque de compassion quasi généralisé depuis un certain temps pour nos victimes civils et militaires.
Bien naturellement, la modalité d’enquête en ligne utilisée pour le sondage, n’est pas adaptée au milieu rural et aux PDI (Personnes déplacées internes, NDLR) qui sont les plus affectés par la crise sécuritaire.
Toutefois, on devrait noter que ce sont les couches moyennes et l’élite urbaines ainsi que leur diaspora, qui animent la vie politique, intellectuelle, économique, sociale et culturelle et qui dictent ainsi le tempo politique, stratégique et militaire dans notre pays.
C’est donc dans cette élite dominante qu’il nous faut chercher l’explication éventuelle à une telle disposition d’esprit.
Il y a une quinzaine d’années, malgré la prégnance de la mal gouvernance et de la paupérisation continue de vastes pans des populations dans nos Etats sahéliens, il était difficile de prévoir cette évolution dramatique au Sahel.
D’où la surprise, la stupeur et finalement la sidération devant l’impétuosité de la catastrophe portée par l’insurrection djihadiste partie des campagnes et qui encercle chaque jour nos villes selon la stratégie de guerre maoïste.
C’est en effet la première fois que des Etats indépendants sahéliens sont confrontés à une telle situation inédite qui remet en cause l’ordre post-colonial qui semble un horizon politique indépassable pour l’élite dominante sahélienne.
Les insurrections populaires urbaines et les coups d’Etat qui ont jalonné nos histoires politiques au Sahel ne nous ont jamais placé devant une telle perspective.
Bref, nous nous sommes lourdement trompés en mimant l’autre dans ses catégories du Politique et de la politique; nous avons oublié que l’immense majorité des populations sahéliennes ne se reconnait pas dans de telles catégories, vit à l’écart du système officiel de l’Etat-Nation post colonial tout en subissant rudement son poids par le biais des politiques publiques; aussi, beaucoup d’entre nous vivons comme une profonde humiliation cette situation «de guerre sans fin» que nous imposent comme dit l’autre, des gueux, mal habillés, mal chaussés, mal nourris, analphabètes et barbares. Bref, une composante d’un monde paysan que nous avons bien souvent passé à perte et profit dans notre imaginaire politique.
Alors, l’impossibilité de renoncer à ce qui semble irrémédiablement perdu, plonge dans un psychodrame, celui de la post-vérité.
De quoi s’agit-il?
«Il est beaucoup question de la «post-vérité» surtout depuis la campagne présidentielle de Donald Trump. Ce terme fut en réalité introduit bien avant, en 1992, par Steve Tesich, au lendemain de la guerre du Golfe, dans un pamphlet intitulé Wimping of America («la déroute de l’Amérique»). L’auteur y constate que le peuple américain, après les mensonges de Richard Nixon, en est venu à avoir peur de la vérité, toujours associée à des informations qui attristent ou déçoivent. «Nous ne voulons plus de mauvaises nouvelles, nous attendons donc du gouvernement qu’il nous protège de la vérité». S’il s’inspire de George Orwell, Steve Tesich ne confond pas post-vérité et mensonge totalitaire. «Tous les dictateurs jusqu’à ce jour, ont travaillé à supprimer la vérité. Nous, par notre action, affirmons que ce n’est plus nécessaire, nous avons acquis un mécanicisme spirituel qui peut priver la vérité de toute importance. En tant que peuple libre, nous avons décidé librement que nous voulions vivre dans un monde de post-vérité … ». Etienne Klein. «Le Goût du vrai». Tracts (n°17). Edition Gallimard; pages 23 et 24.
Comment est-il possible de vaincre ainsi tout esprit critique et de développer un tel mécanisme spirituel?
Il faut manipuler à souhait les critères de vérité, les valeurs morales, l’expérience, la raison et l’imagination.
Dans notre situation, cela a été pour ainsi dire préparé par notre disposition d’esprit à voir le développement, l’émergence, la démocratie, la république une et indivisible voire la révolution, là où la réalité de la patrimonialisation de l’Etat, de l’autoritarisme et partant du non-développement nous indiquait pourtant de manière aveuglante et assourdissante le contraire. Réalité vécue justement par le milieu rural et les couches populaires en milieu urbain.
Henri Atlan, médecin, biologiste et philosophe caractérise ainsi les techniques actuelles de communication qui, s’alimentant de différents régimes de croyances y compris scientifiques, permettent de mettre en sourdine l’esprit critique; elles nous conditionnent: «… à une situation de confusion où le vrai et le faux sont interchangeables, au gré du nombre d’occurrences de la même information ou prétendue telle sur la Toile et ses réseaux. Grand mélange, dissolution du vrai et du faux dans des demi-mensonges de la communication généralisée. Là se confondent les différents registres de croyances: factuel, interprétatif, mythique. C’est le règne de la superstition ancienne ou renouvelée, avec souvent des apparences de rationalité, qui envahit tous les champs de croyances».
Au total, décider de ce que l’on peut croire ou encore, de ce qu’il faut faire devient encore plus difficile. Tout cela a déteint sur la vie politique, intellectuelle, culturelle, scientifique, économique, sociale et spirituelle qui, en s’appauvrissant produit une société traumatisée, atone et seulement disposée qu’à n’accueillir que de bonnes nouvelles de ceux qui veulent bien les lui servir!
Si cela est bien humain, il nous faut cependant résolument reprendre la main car notre situation de détresse nationale n’est nullement une fiction, mais bien une réalité tragique dont il faut sortir.
Toute fuite en avant nous éloigne indubitablement de la Paix.
Oui, la Paix est possible, mais sans doute par des modalités du Politique et de la politique autres que celles de l’Etat-Nation post-colonial qui ont objectivement montré leurs limites.
Pour ma part, en ce qui concerne notre pays, j’en avais esquissé les grandes lignes dans ma tribune https://www.wakatsera.com/burkina-pour-la-fin-de-la-guerre-et-le-retour-a-une-paix-durable/
Dans un Essai à paraître très prochainement sous le titre «Dans la dynamique de la Refondation du vivre-ensemble et de l’Etat au Burkina Faso» j’entreprends l’identification de fondements historiques, anthropologiques et politiques d’une des stratégies possibles de recherche d’une Paix viable et durable au Burkina Faso.
Comme le disait si bien Norbert Zongo: «La pire des choses, ce n’est pas la méchanceté des gens mauvais, c’est le silence des gens bien.»
Bon courage à nous!»
DIALLO Mamadou
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