Le calife veut verrouiller son fauteuil par une élection devant Allah et devant les Tchadiens. Le Grand vizir, lui, veut devenir calife à la place du calife. Et tous deux sont hantés, par cette obsession commune de prendre les rênes du Tchad nouveau, avec un président sorti des urnes, et non des armes comme cela est de coutume dans ce pays continuellement confronté aux guerres civiles et aux rébellions. Après le général Mahamat Idriss Deby, 39 ans, c’est au tour de son Premier ministre Succès Masra, 40 ans, de prendre place dans les starting-blocks pour la conquête du fauteuil présidentiel. Ils sont tous deux de la même tranche d’âge, le président de la transition n’étant le cadet de son Premier ministre que d’une petite année. Et ils sont, tous les deux, le pilote et le co-pilote, qui conduisent l’avion de la transition militaire tchadienne pour le faire atterrir sur le tarmac de l’aéroport de la démocratie.
En principe, et selon les exigences des organisations sous-régionales ou continentales, les auteurs de coup de force et, de surcroît, dirigeants de transition, ne peuvent prendre part à l’élection présidentielle, aussitôt la parenthèse de l’intérim refermée. Mais, comme au temps des partis uniques, où les chefs d’Etat ne se présentent que parce que le peuple le leur a demandé, souvent «en pleurs», le général Mahamat Idriss Deby qui a pris le pouvoir, à la suite de son père, Idriss Deby Itno, maréchal de son armée, officiellement tué au front, le 20 avril 2021, à la tête d’une junte de 15 généraux, a reçu la «demande unanime» d’une coalition de 221 mouvements qui ont fait de lui, leur candidat pour la présidentielle.
Que peuvent alors ces organisations qui, du reste, portent le titre peu glorieux de «syndicats des chefs d’Etat», contre cette volonté, très suscitée et bien murie, mais présentée comme la «vox populi» spontanée? Rien, sinon manger leur chapeau et réclamer, désormais, une «élection démocratique, ouverte et transparente»? C’est déjà ça de gagné! Surtout dans le cas du Tchad, où, avant le scrutin dont le premier tour est annoncé pour le 6 mai prochain, un candidats sérieux, Yaya Dillo Djérou, pour ne pas le citer, disparaît dans le bombardement en règle du siège de son parti? La mort, le 28 février dernier, du leader du Parti Socialistes sans Frontières (PSF), non encore élucidée attend «une enquête de type international», comme l’ont promis les autorités de la transition.
Mais quand ils sont coopératifs et savent attendre patiemment et sagement leur heure, les challengers comme Succès Masra, vont à la table des négociations. Ainsi, d’opposant farouche de Feu le père puis du fils, le chef du parti «Les Transformateurs» est devenu Premier ministre et candidat à la présidentielle. Sous quelle casquette, Succès Masra ira-t-il à l’assaut de la citadelle de la présidence, jusqu’ici imprenable des mains des Deby? Opposant? Ou bien accompagnant qui pourrait garder les clés de la Primature ou devenir deuxième personnage du pouvoir, en accédant au perchoir? L’avenir nous le dira. Pour l’instant, Mahamat Idriss Deby entend se donner une virginité par les urnes et cerise sur le gâteau aura comme adversaire un Premier ministre, fut-il opposant virulent qui se réclame toujours comme tel, bien qu’étant passé de l’autre côté.
En tout cas, à moins d’un retournement de situation inattendu, le schéma de la présidentielle tchadienne est bien tracé pour le général Mahamat Idriss Deby et devrait être un succès pour Masra!
Par Wakat Séra