Le colonel des Douanes sénégalaises, Amadou Tidiane Cissé, vient de publier (juillet 2021) un ouvrage intitulé «Terrorisme: La fin des frontières ? Nouveaux enjeux de la coopération douanière en matière de sécurité au Sahel», où il partage ses réflexions sur ce phénomène auquel beaucoup de pays, notamment le Burkina, le Mali et le Niger sont confrontés depuis des années. Dans cette interview accordée à Wakat Séra, le lundi 19 juillet 2021, le colonel Cissé évoque, entre autres, des sources de financement du terrorisme dont les «organisations caritatives islamiques internationales» et «le trafic de cigarette», la contribution de la Douane dans la lutte contre le terrorisme et l’origine des armes des assaillants. Il revient par ailleurs sur les causes du terrorisme et égrène quelques pistes de solutions.
Wakat Séra: Vous avez écrit un livre intitulé : «Terrorisme : La fin des frontières ? Nouveaux enjeux de la coopération douanière en matière de sécurité au Sahel». Pourquoi un tel titre ?
Colonel Amadou Tidiane Cissé: Ce nouvel ouvrage invite à réfléchir ensemble sur le caractère transnational du terrorisme qui vise, comme on s’en rend compte maintenant, à vouloir remettre en cause les frontières territoriales en même temps que la viabilité de l’État de droit. Al-Qaida qui sévit, depuis plus d’une décennie en Afrique de l’Ouest aussi, est dans une logique de promouvoir un «Jihad» déterritorialisé.
En tant que douaniers, exerçant principalement nos fonctions au niveau des frontières terrestres, maritimes et aériennes, nous disposons d’un potentiel d’interpellation des terroristes qui sont dans une logique de conquête de nouveaux espaces territoriaux, gommant ainsi les frontières.
Comme vous le savez, le Conseil de Sécurité des Nations-Unies a adopté, en 2014, la résolution 2178, dont la particularité est la reconnaissance de la menace que constituent les combattants terroristes étrangers. Il y invite les États à prévenir mais également à sanctionner le recrutement, l’organisation, le transport, l’équipement de combattants terroristes qui quittent leur lieu de résidence ou de nationalité pour rejoindre d’autres régions du monde, dans le but d’y mener des actes terroristes ou d’y recevoir une formation dans des camps d’entrainement dédiés aux terroristes. Mieux, l’Organisation mondiale des Douanes qui regroupe 183 administrations douanières, dont la direction générale des Douanes du Burkina Faso, a adopté en 2015 la Résolution de Punta Cana dans laquelle, elle invite les administrations des douanes à intégrer la sécurité dans leur mandat et fonctions, le cas échéant, en incluant la dimension sécuritaire dans leurs plans stratégiques, en faisant percoler cet objectif vers les services de première ligne. Tout cela les encourage à apporter une contribution dans la lutte contre le terrorisme, y compris la prévention du financement du terrorisme via d’autres activités illégales.
Wakat Séra: Mais jusque-là ces différentes mesures ne portent pas trop de fruit on dirait ?
Colonel Amadou Tidiane Cissé: Il est vrai qu’on serait tenté de croire que la résolution onusienne ci-dessus évoquée mais également toutes les autres, notamment celles qui l’ont précédée (1373/2001, 1624/2005) ainsi que la résolution de Punta Cana (2015) n’ont pas donné un coup d’arrêt au terrorisme dans le monde et particulièrement dans la région du Sahel. En effet beaucoup d’actes terroristes sont aujourd’hui perpétrés malgré le renforcement du corpus juridique international en matière de prévention et de lutte contre le terrorisme. S’il en est ainsi, c’est parce que la lutte contre le terrorisme est d’une complexité, les modes opératoires changent et se renouvellent au fur et à mesure que se mettent en place des stratégies pour les neutraliser. D’où la nécessité pour les États comme pour les populations civiles d’être constamment en alerte face aux menaces sécuritaires.
Wakat séra: Les couleurs noire et rouge du titre de l’ouvrage sonnent comme une inquiétude qui hante l’esprit de l’auteur que vous êtes. Qu’est-ce qui vous tracasse au juste ?
Colonel Amadou Tidiane Cissé: Les tueries. Solhan qui est située dans la province de Yagha, dans le Nord du Burkina Faso, a connu une attaque meurtrière ayant donné lieu à la mort de 160 personnes, dont une vingtaine d’enfants, en juin dernier. Trois mois plutôt, le 15 mars 2021, 137 civils avaient été massacrés dans la région de Taouha au Niger.
Deux ans auparavant, plus de 160 civils avaient péri à Ogossagou (Cercle de Bankass), dans le Centre du Mali. Ces tragédies, associées aux attaques terroristes rendues plus complexes à analyser par les règlements de compte intercommunautaires, sont des signaux qui doivent alerter sur la violence de l’extrémisme religieux dans la région sahélienne…
Wakat Séra: La religion est parfois utilisée comme prétexte pour les attaques. Est-ce la seule raison, selon vous ?
Colonel Amadou Tidiane Cissé: N’oublions pas que les groupes terroristes affiliés à Al-Qaïda et à l’État islamique, dans leur totalité, nourrissent le vœu d’instaurer la charia, la loi islamique. Wassim Nasr écrivait que le but de l’État islamique était d’installer un califat islamique qui s’étend de l’océan atlantique aux confins de la Chine et des Philippines, voire sur toute la planète.
Par conséquent, la dimension idéologique n’est pas absente de son projet. Toutefois, on ne saurait occulter le désir de possession et de main basse sur les ressources dont regorgent les régions qui sont en proie à des attaques terroristes. D’autres motivations seraient également possibles mais il convient de s’interroger, d’enquêter pour éventuellement être édifié sur tous les ressorts du terrorisme, notamment en Afrique de l’Ouest.
Wakat séra: Combien de temps avez-vous pris pour produire cet ouvrage qui parle du terrorisme et quelles ont été les démarches de recherches ?
Colonel Amadou Tidiane Cissé: La rédaction de l’ouvrage m’a pris un peu plus de 12 mois. Je dois dire que j’ai fait des recherches documentaires assez importantes et ma surprise a été la découverte d’une mine d’informations extrêmement riches, fruit de travaux et d’enquêtes menés par des centres de recherches comme Timbuktu Institute, des agences et organismes internationaux comme International Crisis Group, Human Rights Watch, la Fédération internationale de la Croix-Rouge etc. Je déplore simplement l’absence de passerelles de collaboration scientifique entre ces agences et instituts de recherches et les administrations publiques de la région. Cela aurait permis d’enrichir les travaux de recherche qui demeurent un véritable outil d’aide à la décision aux mains des politiques. Il est temps dans notre région de reconnecter le monde de la production de connaissances à celui de la décision et des politiques publiques.
Par ailleurs, j’ai séjourné au Mali où j’ai fait des interviews et des enquêtes. Je dois aussi relever le travail remarquable mené par le réseau des agents des Douanes de la sous-région pour la sécurité en Afrique de l’Ouest. C’est un espace d’échanges d’informations stratégiques et de bonnes pratiques où la contribution des cadres des Douanes du Burkina Faso est fortement appréciée.
Wakat Séra: En lisant votre ouvrage, on sent une invite à une certaine mitigation des paradigmes du tout-sécuritaire face à la mesure nécessaire entre gestion des urgences sécuritaires et enjeux de la prévention et de la prospective. Alors, comment cela est faisable dans la situation du Sahel ?
Il faut dire qu’à l’instar de toutes les armées classiques du monde les nôtres n’ont pas été préparées à la guerre asymétrique qui défie toutes les stratégies militaires.
Colonel Amadou Tidiane Cissé: Vous savez, la question terroriste est assez complexe pour être réglée, même par une baguette magique. Autant il est important de renforcer les capacités opérationnelles des Forces de défense et de sécurité et de détruire les sanctuaires terroristes et leur arsenal de guerre, autant il est important aussi de mener une politique de prévention face à la montée de l’extrémisme violent en Afrique de l’Ouest. Cette dernière nécessite de replacer la citoyenneté dans le cœur des populations mais également de bâtir des politiques inclusives sur toute l’étendue de la région sahélienne impactée. Il faut dire qu’à l’instar de toutes les armées classiques du monde les nôtres n’ont pas été préparées à la guerre asymétrique qui défie toutes les stratégies militaires. Mélanie Dubuy, par exemple, assimile le terrorisme à l’hydre de Lerne, monstre dont Hercule coupait les têtes qui se multipliaient à mesure qu’il les coupait. Vaincre un monstre pareil requiert de sortir des sentiers battus du tout répressif.
Dans mon livre, je dis que le caractère asymétrique du conflit armé au Sahel rend difficile le combat contre les groupes terroristes armés. Je donne aussi l’exemple du Maréchal Tito, héros de la résistance yougoslave qui disait: «Ne combattez jamais l’adversaire sur son terrain. Baissez-vous et cachez-vous, et frappez-le ensuite, lorsqu’il n’est pas en position de vous dominer…». Les groupes terroristes ont bien compris et assimilé une telle stratégie.
Wakat Séra: Mais comment faire pour que cette lutte soit fiable ?
Colonel Amadou Tidiane Cissé: La lutte contre le terrorisme pourrait être plus fiable si les États se donnaient les moyens de s’attaquer par exemple aux sources de financement du terrorisme.
Wakat Séra: Vous qui êtes un gradé paramilitaire et qui s’intéresse à ce sujet du terrorisme, que peuvent être les sources de financement du terrorisme dans la sous-région ouest africaine ?
Lisez la réponse en cliquant sur cette VIDEO de 2mn2s
Wakat Séra: Quelle analyse faites-vous de l’origine des armes des terroristes ?
Colonel Amadou Tidiane Cissé: J’aborde aussi cette question essentielle dans mon livre. Je rappelle d’ailleurs les propos du défunt Président malien, Amadou Toumani Touré, qui disait en 2012 que «le Mali subit les effets collatéraux de la guerre en Libye qui était devenue le magasin d’armes à ciel ouvert le plus important, le moins cher et le mieux achalandé.»
Toutefois, il faut signaler qu’un nombre important d’armes provient des stocks nationaux mais également des manufactures locales, reconnues par l’État ou exerçant en toute clandestinité.
Wakat Séra: Comment des armes peuvent entrer sur un territoire jusqu’à tomber entre les mains des terroristes, sans que la Douane ne soit au courant ?
Colonel Amadou Tidiane Cissé: Les armes entrent dans les pays en toute clandestinité. Les frontières des États ont la particularité d’être poreuses et les services des Douanes subissent également les contrecoups des impératifs de réductions de dépenses budgétaires: sous effectifs, sous équipements… Malgré tout, les saisies liées à la sécurité, c’est-à-dire celles qui concernent les armes, munitions, explosifs et précurseurs chimiques intervenant dans la fabrication des engins explosifs improvisés, sont particulièrement satisfaisantes, comme en atteste le bilan annuel des Douanes burkinabè en matière de lutte contre la fraude.
Wakat Séra: En tant que colonel de Douanes, qu’est-ce qui peut empêcher les institutions douanières, en plus de ce que vous avez évoqué, de jouer leur rôle de prévention et contribuer efficacement à la lutte contre le terrorisme ?
Colonel Amadou Tidiane Cissé: J’ai évoqué les problèmes d’effectifs et d’équipements des services des Douanes des pays du Sahel. Il faut y ajouter la nécessité de renforcer les capacités opérationnelles des agents des Douanes en développant en permanence leurs connaissances en matière d’ingénierie sécuritaire. Nous déroulons un programme de surveillance des importations des biens stratégiques comme les précurseurs chimiques afin d’empêcher qu’ils tombent entre les mains de groupes malintentionnés. Sur la question de la surveillance des flux financiers illicites, des jalons importants ont été posés mais il convient d’accorder plus d’importance à ces questions. Vous n’ignorez pas que les Administrations douanières sont, souvent, prises à la gorge par les recettes fiscales à mobiliser. C’est vrai qu’il est normal qu’elles continuent à jouer leur partition de soldats de l’économie bien qu’elles doivent contribuer à gagner cette autre difficile guerre contre le terrorisme.
Wakat Séra: Quelles solutions pour un pays comme le Burkina Faso ou le Mali pour une lutte efficace et sans concession contre le terrorisme ?
Colonel Amadou Tidiane Cissé: Je me méfie de donner des recettes de cette nature. En tant que soldat de l’économie, je reste d’avis que nous menons des missions qui peuvent aider à stabiliser notre région. Cependant, il nous faut nous impliquer davantage dans ce combat en comprenant définitivement que les questions de sécurité doivent être intégrées dans nos mandats et fonctions. Et comme le nom de votre journal le résume si bien: Wakat Séra !
Interview réalisée par Daouda ZONGO