L’ouverture récente des archives diplomatiques françaises sur la Révolution burkinabè ouvrent de nouvelles perspectives de recherche. Elles s’avèrent indispensables pour un travail rigoureux. Il est temps que les étudiants en histoire et leurs enseignants exploitent cette importante nouvelle source de données. Reste que les archives du Burkina sont tout autant indispensables.
Les archives diplomatiques, celles du ministère des Affaires étrangères ont effectivement été ouvertes, classées et rendues disponibles depuis un peu plus de deux ans. On peut les consulter à la Courneuve dans un site qui leur est dédié. La loi autorise leur mise à disposition du public, sous certaines conditions, et notamment passé le délai de 25 ans après le déroulement des faits. Mais les documents « secret défense » restent …« secrets ». On ne peut pas les consulter. A cet égard on attend avec impatience qu’en sera-t-il de la promesse de déclassifier tous les documents sur l’assassinat de Thomas faites lors de son voyage au Burkina en novembre 2017.
Sur la période 1984 -1988, elles sont rassemblées dans une dizaine de cartons. Il m’a fallu une quinzaine de jours pour tout éplucher, sans d’ailleurs avoir le temps de lire tous les documents en détail.
Qu’est ce qu’on y trouve ?
Il s’agit de documents qui ont circulé dans entre les différents services du ministère des Affaires étrangères et ceux de l’ambassade de France du Burkina Faso à Paris. Elles rendent compte de rencontres au plus haut niveau, avec Sankara ou les ministres des Affaires étrangères, mais aussi des confidences que se font les diplomates d’autres pays qui échangent visiblement beaucoup entre eux. On y trouve aussi des documents issus de services officiels du Burkina, des coupures de presse des tracts, et même aussi des discours et interviews de Thomas Sankara inédits. Quelques notes du secrétariat général de la Défense nationale sont accessibles, toutes tamponnées « confidentiel défense ».
Pour l’essentiel ce sont ce qu’on appelle des télégrammes diplomatiques, mais aussi de très nombreuses notes d’analyse, issues soit du personnel de l’ambassade soit de différents services du ministère des affaires étrangères. Un journaliste a pu les consulter en partie et en a tiré un premier travail intéressant (voir http://webdoc.rfi.fr/burkina-faso-qui-a-fait-tuer-sankara/chap-05/). Je me garderai de tenter ici d’en faire un inventaire ni même une synthèse. Tout en plus, peut-on en tirer quelques enseignements.
Citons parmi les centres d’intérêts de nombreux échanges pendant les négociations sur nouveaux accords de coopération qui vont s’étaler sur plusieurs années, sur la demande du Burkina de déménagement de l’ambassade de France qui touche les locaux de la Présidence de la République, ou par exemple les intenses pressions de la France lorsque Thomas Sankara souhaite stopper les vols d’UTA, compagnie à capitaux français, qui proviennent de l’Afrique du Sud.
Les rapports entre le France et le Burkina jusqu’ici peu documentés
A dire vrai, j’étais venu dans l’idée de voir si l’on pourrait trouver quelques éléments, sur une éventuelle participation de la France dans l’assassinat de Thomas Sankara. Il m’a fallu vite déchanter. Par contre, cette première confrontation avec des archives, proche du travail de l’historien, (que je ne suis pas de profession), fut passionnante. Première conclusion essentielle, tout autant qu’évidente : il est très difficile, voire impossible de faire de l’histoire sans avoir accès à des archives. J’en suis sorti conscient des limites du travail que j’ai réalisé jusqu’ici à travers mes différentes ouvrages.
Par ailleurs, je me souviens avoir été souvent questionné, par la passé, par des étudiants d’histoire soucieux de travailler sur les rapports entre la France et le Burkina Faso. Faute de documentation, ils ne pouvaient rien faire d’autres que reprendre ce que j’avais publié, rassemblés ici ou là. Or c’est évidemment très insuffisant. Nous n’avions jusqu’ici essentiellement que les discours, les interviews, des témoignages et des articles de presse. C’est-à-dire soit des déclarations à usage politique, soit des commentaires peu documentés.
La politique française
On vérifie, s’il en était besoin, que la politique française se détermine exclusivement sous le prisme des alliances réelles ou supposées du Burkina, avec la Libye, Cuba ou l’Union Soviétique. Très régulièrement, les notes d’analyse, et elles sont très nombreuses, ou d’orientation expliquent que, tant que le Burkina ne se range pas très clairement du côté de ces pays, il convient de le ménager, tout comme son président, justement pour éviter qu’il ne se positionne définitivement aux côtés de ces trois pays.
Ce sont souvent les notes du secrétariat général de la Défense Nationale qui sont les plus précises de ce point de vue. Ainsi une de ces notes expliquent qu’il vaut mieux accorder une aide pour un projet que les experts français ne jugent pourtant pas trop pertinent plutôt que de s’aliéner les dirigeants du Burkina. Principal argument des diplomates, ce pays est considéré avec beaucoup de sympathie dans la région !
On tombe parfois sur des échanges contradictoires, entre l’ambassadeur de France, M. Le Blanc et le ministère, montrant parfois quelques divergences, mais les décisions définitives sont prises au ministère. On note par exemple que, dans un télégramme du 19 mars 1984, Le Blanc écrit : « on a peut-être intérêt à œuvrer à la consolidation du régime » et plus loin : « Thomas Sankara est notre meilleur défenseur au sein du CNR non par conviction mais par raison » !
Thomas Sankara et le France
Ses archives nous permettent d’avoir une vision très détaillée, de la façon dont Thomas Sankara envisageait ses rapports avec la France.
Le positionnement de Thomas Sankara apparait, à travers les archives particulièrement clair. Il le déclare régulièrement face aux diplomates.
Après une certaine déception, des aides reçues par l’Union soviétique, Cuba et la Libye, il reconnait, que la France est le pays, le plus à même d’aider le Burkina. Par contre il ne cesse de réaffirmer ses positions, face aux diplomates, il ne saurait transiger sur ses positions internationales. Les diplomates lui reprochent régulièrement ses déclarations hostiles à la politique française, ne sachant souvent comment réagir, s’en inquiétant même. Il leur répond : « Il faut que la France comprenne, que désormais, personne ne dictera ses positions au Burkina Faso », tout en les rassurant, prenant parfois ses distances avec des déclarations d’autres dirigeants de la Révolution. Ainsi il ne cesse de solliciter la France pour de nombreux projets avec parfois beaucoup d’insistance.
Les historiens doivent se mettre au travail et envoyer les étudiants
Impossible ici de rendre compte de la richesse de ces archives. Leur exploitation ne peut se faire que thème par thème. L’ouverture de ces archives doit marquer le début du travail historique avec les méthodes propres à cette discipline qui ne saurait se contenter des seuls discours, articles de presse ou recueil de témoignages. Il est temps maintenant que les historiens viennent enrichir encore les nombreux travaux déjà entrepris.
Cette période révolutionnaire, courte et particulièrement riche, mérite qu’un vrai travail scientifique commence. Les étudiants sont nombreux à vouloir faire des travaux sur cette période, reconnue en Afrique comme une expérience pleine d’enseignements, porteuse d’espoir. Maintenant que ces archives sont ouvertes et que l’information se diffuse, il est temps que les enseignants encadrent des étudiants pour l’exploitation de ces archives. Quoi de plus passionnant pour un jeune chercheur que de trouver à travailler sur des sources jusqu’ici inexploitées.
Diplomatie et services secrets deux mondes…
L’absence de toute trace d’une éventuelle participation de la France à l’assassinat de Thomas Sankara doit-elle nous amener à conclure qu’il s’agit là d’une élucubration, voire d’un « fantasme » comme se sont empressés de le clamer quelques hommes politiques (voir https://blogs.mediapart.fr/bruno-jaffre/blog/110915/affaire-sankara-claude-bartolone-place-la-france-en-retard-sur-le-burkina). Reste qu’il n’y a aucune trace de documents des services secrets, ni notes, ni courrier. Il y a donc tout un pan de la politique française qui reste non documenté dans les archives diplomatiques. Elles sont ailleurs, sans doute non consultables. La promesse de déclassification lancée par Macron, lors de son voyage au Burkina, ne concerne que la justice et non les chercheurs.
Le témoignage de François Hauter (voir http://www.thomassankara.net/un-journaliste-francais-declare-avoir-ete-manipule-par-guy-penne-et-les-services-secrets-francais-avant-lassassinat-de-thomas-sankara/ ) confirmé dans le webdoc de RFI (voir http://webdoc.rfi.fr/burkina-faso-qui-a-fait-tuer-sankara/chap-04/index.html ) montre que, par-delà la diplomatie, d’autres agissent dans l’ombre. Cet ancien grand reporter du Figaro évoque la proposition de Guy Penne, conseiller de Mitterrand, de lui faire rencontrer un responsable des services secrets pour écrire un article à charge contre le Burkina Faso, notamment sur la pratique de la torture. Les archives d’ailleurs nous indiquent que l’article de François Hauter ne date pas de 1987, comme c’est écrit dans l’article de RFI et semble le laisser entendre François Hauter, mais de 1985.
Cet épisode documenté montre, s’il en était besoin que, parallèlement à l’action des diplomates dont le rôle est bien sûr de faire de la diplomatie, d’autres agissent dans l’ombre. On aurait donc tort de se laisser abuser par le langage et l’action des diplomates. C’est malheureusement ce seul aspect de la politique française qui est accessible dans les archives. Pendant que les diplomates essayent et c’est leur rôle, d’éviter les conflits au sens diplomatique du terme, d’autres dans l’ombre s’activent pour déstabiliser un pays considéré comme voulant s’attaquer aux intérêts de la France. Les deux documents que nous publions ci-dessous illustrent bien ce double jeu.
Deux documents
Lettre de Jacques Chirac à Michel Aurillac
Le premier document est la photocopie d’un journal paru à Dakar, le Canard Déchainé, du 29 octobre 1987 qui reproduit une lettre de Jacques Chirac envoyée à Michel Aurillac, publiée une premier fois dans le Carnard Enchainé du 21 octobre 1987. Cette lettre, la date n’apparait pas, a été écrite après la campagne qu’a menée le Burkina Faso au sein de l’ONU pour que la Nouvelle Calédonie apparaisse dans la liste des pays à décoloniser. Le vote est intervenu le 2 décembre 1986. M. Chirac alors premier ministre écrit : « J’observe que le Burkina Faso a co-parrainé la résolution relative à la Nouvelle Calédonie à l’occasion de la 41ème session de l’Assemblée générale des Nations Unies. Trop c’est trop. Il convient d’en tirer les conséquences et d’aller au-delà de ce que nous avions envisagé pour qui concerne la réduction de l’aide à ce pays pour 1987 ».
Bien sûr? il n’est pas ouvertement question de déstabiliser le pays, mais d’une diminution conséquente de l’aide, ce qui va dans le même sens. Surtout le ton tranche avec tout ce qu’on peut lire sur les rapports affichés dans les archives diplomatiques entre la France et le Burkina qui paraissent cordiaux. Il est aussi à noter que peu de documents dans les archives diplomatiques évoquent cet épisode du vote sur la Nouvelle Calédonie. Ont-ils été soigneusement classifiés ? Une première recherche dans les documents issus du représentant de l’ONU, classés dans une autre série, n’a pas donné plus de résultats. On est en droit de se le demander. De même qu’on se demande si cette photocopie n’est pas passée au travers des censeurs chargés de classer les documents et d’en extraire les classés « secret défense ». En tout cas la lettre originale n’est pas présente.
Est-il déjà trop tard? (1)
Le deuxième document dont le titre n’est autre que « Est-il déjà trop tard ? » est une illustration de ce que produit le secrétariat général de la Défense nationale. Comme d’habitude on y attire l’attention sur le fait qu’il faut surveiller de près les rapports entre le Burkina et la Libye, Cuba et l’Union Soviétique.
Puis la note se termine par cette proposition étrange de test pour tester le positionnement du Burkina Faso : « La révolution burkinabé n’est pas encore une ennemie déclarée des intérêts français mais la tentative d’implantation soviétique démontre que cette situation peut changer très rapidement. Elle serait alors difficilement réversible et particulièrement lourde de conséquence pour les pays voisins.
Dans ce contexte, il peut s’avérer extrêmement dangereux de continuer à laisser se produire des vides favorisant les desseins de nos adversaires. Un simple redressement de nos concours financiers ne suffira sans doute pas à corriger la dérive actuelle ; bien au contraire, cet effort pourrait nous confiner dans le rôle ingrat d’un bailleur de fonds toujours accusé de réticence.
Est-il déjà trop tard (2)
Le moment parait donc venu de procéder à un test susceptible de mesure le degré de confiance que la capitaine Sankara nous accorde. Ce test, pour être efficace, doit porter sur la mise en place d’assistants techniques au sein d’un organisme choisi parmi les plus sensibles de l’appareil révolutionnaire. L’opportunité peut être trouvée en utilisant le souhait, émis par le Président du CNR lui-même de voir la Mission Militaire de Coopération aider à la mise sur pied du Service Populaire de Construction Patriotique (SPCP). L’acceptation ou le refus d’une proposition en ce sens devrait permettre de décider s’il convient de poursuivre notre aide ou de la suspendre totalement. »
Les révolutionnaires burkinabè avaient pris soin de se passer des coopérants français dans les services les plus sensibles. Ce « test » propose donc de tenter de les réintroduire.
Elle attire quelques commentaires. Le titre est révélateur de l’état d’esprit du rédacteur. On serait donc au bord de la rupture. Elle est datée du 24 juin 1987, alors que la note précédentes accessible aux archives, datant de mars 1987 est intitulée « une politique possible pour la France » dont la teneur est bien plus positive. Mais l’auteur n’est plus le même.
Est-il déjà trop tard? (3)
Thomas Sankara s’est toujours refusé à accepter de l’aide que son pays n’a pas sollicité. Toute son action montre qu’il aurait plutôt tendance à s’en méfier « Celui qui vous donne à manger vous dicte également ses volontés », « l’aide doit nous aider à nous passer de l’aide ». Surtout, si les révolutionnaires ont pris soin de se passer des coopérants dans les directions les plus sensibles des ministères, pourquoi Thomas Sankara accepterait-il qu’ils reviennent ?
Il n’y a pas trace de réponse, ni d’une quelconque suite donnée à cette proposition.
Appel aux historiens, étudiants et enseignants.
Les archives sont indispensables à tout travail historique, tout autant d’ailleurs que les témoignages. Je sors de ces consultations plus convaincu que jamais. Je me suis toujours étonné du très grand nombre d’ouvrages qui existent sur la révolution burkinabè. Aucun n’a été écrit par un historien. Et c’est aux États-Unis que les travaux paraissent les plus prometteurs.
Si la raison était jusqu’ici que les archives n’étaient pas disponibles, cet argument est désormais caduc. Pour autant les archives diplomatiques ne renseignent fondamentalement que du point de vue des Français. Malgré la volonté du pouvoir de Blaise Compaoré d’effacer l’œuvre de Thomas Sankara et de ses camarades de la mémoire de son peuple, des archives existent au Burkina Faso, notamment dans certains ministères. Aucun travail véritablement scientifique ne pourra être fait sérieusement alors que manquerait l’une de ces deux sources, qui viennent de façon indispensables compléter tout ce qui était disponible jusqu’ici.
Je ne peux terminer cet article sans une ode au service public des archives. Le lieu est propice au travail, agréable, calme et spacieux. Chaque nouveau lecteur passe par un archiviste qui l’aide dans ses recherches. Bien sur il y aurait des critiques à faire sur le classement, mais on comprend qu’il s’agit essentiellement d’un problème de moyens. Malheureusement, comme tout service public, il est en danger. Il est question de réformes dont l’objectif essentiel sera encore fois de faire des économies.
Quant à la question des décisions politiques concernant l’accès aux documents sensibles, nous aurons largement l’occasion d’y revenir. Le collectif « secret défense un enjeu démocratique » (voir à https://blogs.mediapart.fr/bruno-jaffre/blog/270317/le-secret-defense-contre-la-verite-et-la-justice et https://blogs.mediapart.fr/bruno-jaffre/blog/191217/le-collectif-secret-defense-ecrit-emmanuel-macron), rassemble désormais 13 affaires, se renforce et passera bientôt à la vitesse supérieure. Macron ayant refusé de le recevoir il a demandé à rencontrer le Premier ministre en charge d’une réforme sur ce sujet.
Bruno Jaffré