Otigba Computer Village au Nigéria est sans doute le plus grand marché des technologies de l’information et de la communication (TIC) en Afrique. L’histoire a commencé avec une entreprise individuelle dans une rue appelée « Otigba » à Ikeja, la capitale de l’État de Lagos. En peu de temps, quelques milliers d’entreprises occupaient un vaste territoire de cet État. Il représente un centre de solutions TIC pour le Nigeria et l’Afrique de l’Ouest. Comment expliquer cette réussite inspirante ?
Avant mes recherches, aucune étude n’avait été réalisée sur la manière dont ce groupe d’entreprises avait identifié des connaissances nouvelles et utiles, et sur la manière dont ces structures avaient utilisé de manière innovante ces connaissances pour accroître leurs performances et leur rentabilité en développant leur business.
La force d’un regroupement d’entreprises
Des recherches menées dans le monde entier montrent que, lorsque les entreprises se regroupent, un échange de connaissances est inévitable. Cela peut être dû à des externalités ou à des transferts. Avec plus de 4000 entreprises, Otigba n’échappe pas à la règle. J’ai donc cherché à comprendre en me rapprochant de 200 unités fonctionnelles, ce qui représente environ 5% de la taille du groupe. Je voulais comprendre comment les connaissances sont identifiées, acquises, développées, utilisées et diffusées dans le cluster. L’étude visait également à comprendre comment la diffusion des connaissances au sein du cluster avait conduit à l’innovation et au développement des affaires. L’innovation se réfère ici à des changements techniques importants dans le produit, les services, les processus de production ou le mode de livraison.
Formation sur le tas
Lorsque les entreprises opèrent à proximité, le partage des connaissances est inévitable, ce qui a été vérifié à Otigba. Cela est principalement dû au fait que au quotidien les activités conduisent à une rotation des tâches, ce qui conduit à une multi compétence. Ensuite, une formation régulière des employés (principalement des apprentis) est réalisée par du personnel technique hautement qualifié, généralement le propriétaire de l’entreprise ou une personne nommée en tant que cadre supérieur. La plupart des entreprises n’ont pas donné la préférence à des employés possédant une expérience pertinente lors de l’embauche. Au lieu de cela, elles ont préféré utiliser l’expertise de techniciens qualifiés pour former de nouveaux employés. En conséquence, les apprentis ont appris sur le tas.
Globalement, il a fallu moins de deux ans aux nouveaux employés pour acquérir toutes les connaissances nécessaires pour faire le travail pour lequel ils avaient été embauchés. Le résultat est que l’apprentissage est devenu l’un des principaux canaux d’acquisition de compétences et de diffusion des connaissances au sein du groupe. Pendant cette période, les connaissances sont transmises aux apprentis jusqu’à ce qu’ils deviennent eux-mêmes des experts. Ces apprentis sont ainsi diplômés, prêts à créer leur propre entreprise ou à obtenir un emploi de technicien dans le secteur formel.
Des associations professionnelles et le partage des connaissances
Les associations professionnelles et les syndicats constituent un autre canal de diffusion de connaissances au sein des groupes, ils ont permis l’innovation collaborative, ce qui a permis aux entreprises de rivaliser face à des acteurs internationaux. Le mérite en revient au rôle de surveillance joué par les associations professionnelles et les syndicats tels que l’Association des négociants en produits informatiques et apparentés du Nigéria. Le syndicat veille à ce que tous ses membres connaissent les innovations relatives aux nouvelles technologies (produits et processus). Il facilite également l’importation groupée d’équipements coûteux ainsi que le partage d’outils et de techniciens entre ses membres.
Grâce au partage des connaissances au sein du groupe, la majorité des nouvelles entreprises ont été en mesure d’intensifier leurs opérations au cours des trois premières années d’exploitation. Ceci est remarquable sachant que la recherche montre qu’un tiers des nouvelles entreprises meurent dans les deux ans et la moitié dans les cinq ans suivant leur création. Ainsi, le partage des connaissances via la mise en cluster constitue une incubation organique, un moyen sûr de survie pendant les trois premières années en tant que start-up.
Le partage des connaissances a également permis à la plupart des entreprises d’augmenter leurs capitaux dans les trois ans suivant leur création. Elles l’ont fait soit sur fonds propres, soit par le biais d’emprunts. Les banques commerciales étaient la principale source de prêts, suivies des sociétés coopératives, des Business Angels et des organismes de micro-crédit.
La plupart des entreprises ont augmenté leurs ressources humaines pour gérer leur entreprise en raison de leurs bonnes performances. Au cours de la période du décollage de leurs activités, il y a eu beaucoup de collaboration entre les entreprises du groupe ainsi qu’avec d’autres entreprises, organisations et institutions à l’extérieur. Cela a facilité le transfert de connaissances entre les entreprises ayant coopéré.
Enfin, les effets de la mise à l’échelle ont amélioré la capacité des entreprises à: satisfaire les demandes des clients ; se conformer à la réglementation et aux normes nigérianes ; développer des produits/procédés plus respectueux de l’environnement ; et améliorer la qualité du produit. De plus, le partage des connaissances qui s’est produit au cours de l’extension a permis aux entreprises d’élargir leur gamme de produits, de faire face avec succès à la concurrence étrangère et de réduire leurs coûts de production.
En conclusion, mes recherches confirment que l’ouverture et la proximité amélioraient l’accès à l’information, aux clients, aux nouveaux marchés nationaux, aux outils et technologies, aux fournisseurs de matières premières et d’intrants. En outre, toutes les entreprises bénéficiant de la proximité dans le cluster étaient impliquées dans au moins une forme d’innovation. L’étude montre que les connaissances ne doivent pas nécessairement être protégées. Au contraire, il y a un net intérêt à les partager afin que d’autres entreprises puissent les adopter ou les adapter. Ceci nourrit le cercle de l’innovation et le développement rapide du secteur. L’ouverture contribuera également au développement d’autres secteurs grâce aux retombées du savoir, ce qui à son tour, créera une saine concurrence entre les entreprises.
Oluseye Jegede, chercheur principal à l’unité de développement industriel de SARCHI à l’Université de Johannesburg.
Article publié en collaboration avec Libre Afrique