On parle de crise dans le cas d’un afflux massif de réfugiés, dans une période donnée, qui nécessite l’intervention des gouvernements, des humanitaires et de tout citoyen altruiste. Aucun pays n’est épargné par cet afflux, qu’il soit petit ou pauvre.
En dehors de ces phénomènes aigus comme celui de l’exode de millions de syriens en 2015, les flux migratoires réguliers, une constante de l’Histoire, ne constituent pas en eux-mêmes une crise mais une réalité humaine, économique et politique. Rappelons-nous combien d’européens miséreux, aux XIX et XX siècles, se sont réfugiés ailleurs pour vivre mieux.
Les flux migratoires nécessitent une gestion particulière pour limiter les effets d’exils incontrôlés, tant dans les pays d’origine que dans les pays d’accueil d’autant que la marchandisation des êtres humains qui en résulte devrait être universellement combattue.
Ainsi, du fait de l’esprit critique des populations européennes plus éduquées qu’autrefois, on devrait s’attendre à une gestion pragmatique et non idéologique de ces flux. Alors pourquoi y a-t-il focalisation, pourquoi le mot crise revient-il si souvent ?
La responsabilité des relais d’opinion :
L’absence de commentaires argumentés et de mise en perspective, la diffusion en boucle d’images choc, tout est fait pour entretenir peur ou pitié.
Le fonds de commerce de certains partis politiques :
Dans un climat d’incertitude économique et de gestion budgétaire aléatoire, les populations sont fragiles et les discours opportunistes de certains partis en quête d’électeurs ne les aident pas à appréhender sereinement le sujet. Les voix sont récoltées sur la base de « ressentis » et non d’analyses objectives ; le terme de « crise » étant donc moins le fait des migrations que la manifestation de la peur chez l’autochtone manipulé.
Le statu quo des gouvernements :
Nos dirigeants se gardent bien de prendre position – Angela Merkel qui a accueilli près d’un million de réfugiés syriens en fait les frais.
Ainsi oscillent-ils entre fermeture des frontières ou ouverture à géométrie variable pour une immigration choisie. Ils actent cependant l’apport de ces migrants dans les économies nationales dans un contexte de populations européennes vieillissantes, quantifient les cotisations et autres impôts prélevés sur les salaires des étrangers déclarés, voudraient bien repeupler certaines régions désertifiées, etc… Rien n’est dit, aucun chiffre n’est communiqué mais chut, la réalité fait peur aux citoyens crédules !
S’il faut parler de crise, c’est de celle de nos sociétés européennes confrontées à une mondialisation croissante dont les flux migratoires réguliers sont une des composantes. Les projets politiques doivent tenir compte de cette réalité.
La dissimulation et le cynisme favorisent l’image d’une lente invasion qui déstabilise et génère repli sur soi, xénophobie, racisme et communautarisme et ce sont ces conséquences-là qui sont propres à déstabiliser la paix de nos démocraties européennes, non la présence des migrants dont beaucoup tirent profit.
L’emploi du mot crise entretient donc l’amalgame entre réfugiés et migrants économiques et pendant que les européens se divisent à leur sujet, des décideurs publics et privés, après avoir vendu des armes, se disputent la reconstruction. Celle de la Syrie pèse plus de 300 milliards de dollars.
Emmanuel Argo. Auteur du concept NégroÉvolution. Membre de la Société d’Histoire de l’Université d’Oxford et de Chatham House Royaume Uni.