Dans notre éditorial nous nous demandions si l’armée n’allait pas se résoudre à arbitrer ce jeu de succession sous la couette que comptait jouer Grace Mugabe, en élaguant autour de son époux, croulant sous le poids de ses 93 ans d’âge et de 37 ans de pouvoir. C’est fait, comme dans le livre biblique de la Genèse, Grace, dans le rôle d’Eve, est en train de précipiter la chute de Robert, l’Adam de l’histoire. Les deux sont en train d’être chassés du paradis enivrant du palais présidentiel, non pas après avoir dégusté la pomme de Satan déguisé en serpent, mais par les militaires, lassés de la purge initiée par le président zimbabwéen; dans sa propre famille d’anciens camarades de lutte pour la libération de l’ancienne Rhodésie du sud. Perdu par les ambitions présidentielles démesurées de la disgrâce, nommée Grace, le vieux Bob sera certainement contraint à la retraite, lui qui comptait mourir avec le titre ubuesque de président à vie, en ces heures où l’alternance au sommet de l’Etat est la règle la mieux partagée. Même en Afrique qui s’est montrée plus ou moins récalcitrante mais qui s’y résout. Le continent n’a plus le choix, sous la pression des sociétés civiles et des peuples aspirant à cette liberté d’expression qui leur a été longtemps confisquée par des dirigeants obnubilés par le pouvoir et qui s’érigent en monarques s’octroyant droit de vie et de mort sur leurs sujets.
L’armée a donc pris le pouvoir et contrôle désormais Harare, pour le bonheur d’une bonne partie des populations zimbabwéennes mais surtout la satisfaction de mouvements et associations de défense de droit de l’homme et de promotion de la démocratie, qui voient dans ce coup d’Etat, n’ayons plus peur des mots, une opportunité de libération du pays, du joug des Mugabe. Certes, le rituel des voix s’élevant pour condamner cette prise de pouvoir hors constitution est en branle et les invétérés négociateurs, comme le voisin et ami sud-africain de Mugabe, ont commencé à se manifester. Mais ces condamnations, du reste pour la plupart hypocrites ou très intéressées parce que plus aucun dirigeant n’est à l’abri de la déconvenue du vieux Bob, parviendront-elles à émousser l’ardeur des militaires déterminés à mettre fin à la purge entreprise par le président sous la dictée d’une première dame dont la voracité pour le pouvoir est sans borne? Rien n’est moins sûr, bien que la situation soit encore d’une certaine volatilité, les soutiens de Robert Mugabe dans cette armée divisée n’ayant sans doute pas dit leur dernier mot. Qui plus est, le syndicat des chefs de l’Etat de l’Union africaine et singulièrement les présidents des pays membres de la Communauté de développement des Etats de l’Afrique australe (Sadec), ne permettront sans doute pas que soit bafoué aussi facilement, le sacro-saint principe de bannissement des putschs militaires. Même si pour éviter justement cette fatwa de la fameuse communauté internationale, l’armée zimbabwéenne rejette avec la dernière énergie toute idée de coup d’Etat.
Questions: Emmerson Mnangagwa, le poil à gratter de Grace Mugabe, reviendra-t-il pour prendre, comme il l’avait prédit, la tête de la puissante Zanu-Pf, le parti au pouvoir? Les prochains jours nous le diront. En tout cas, en attendant de possibles retournements, Robert Mugabe, le héros ou le despote, c’est selon, a tout le temps, de sa «résidence surveillée» de méditer son sort de président tombé dans le piège fatal des dirigeants usés par le long règne et poussés à la faute par leur entourage immédiat, qui craignent la chute et la perte de leurs nombreux privilèges indus.
Par Wakat Séra